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pattybijoux, Posté le dimanche 24 mai 2015 06:20
Angélus
III
Comme le presbytère est joyeux maintenant !
Bien qu’au bord de la mer il soit moins rayonnant,
Le printemps, qui sourit parmi les giboulées,
Éclaire le gazon frileux dans les allées,
Réchauffe le vieux seuil, le cep en espalier,
Et vient mourir au bas du gothique escalier.
Le jardin rajeunit, rempli de pousses vertes.
L’éclat de rire sort des fenêtres ouvertes.
La brique a le ton rose et charmant d’un décor,
Et le chaume brillant pétille comme l’or.
Ah ! si le jardin sombre et les vieux murs moroses
Se sont transfigurés si vite, si les roses
Ont si vite chassé l’ortie et le chardon,
Si la tendre espérance et l’aimable pardon
De floréal ont pris ce coin noir pour leurs fêtes,
Si plus pures et plus exquises se sont faites
Pour ce lieu les senteurs premières des lilas,
Si ce miracle advint, c’est que tu t’y mêlas,
C’est que tu l’accomplis sans le savoir, Enfance !
C’est qu’une sympathique et douce connivence
S’installe entre ta grâce et la grâce d’avril ;
C’est qu’un enchaînement adorable et subtil
Comme lui t’embellit de charme et de surprise,
Fait ton rire semblable aux chansons de sa brise
Et l’or pâle de ta chevelure pareil
Aux rayons étonnés de son jeune soleil !
Car de longs mois, depuis cette nuit de novembre
Où près des deux vieillards et dans la vieille chambre,
Confiant, protégé par leur regard ami,
Pour la première fois l’enfant avait dormi,
De bien longs mois, de bien doux mois, toute une année
D’extase stupéfaite et de joie étonnée
Avait passé, bien chère et trop courte pour eux.
Et dès le lendemain de ce jour bienheureux
Ils avaient entrepris leur délicat ouvrage.
D’abord ils avaient craint les dangers du sevrage ;
Mais tout semblait venir en aide à leur dessein.
Rejeton du malheur, né sur un maigre sein
Avare de son lait comme de sa tendresse,
Angelus, élevé sans soin et sans caresse,
N’étant pas mort, hélas ! s’était vite endurci,
Car la misère tue ou rend robuste. Aussi,
Plus fort que ne le sont les bambins de cet âge,
Il supportait déjà la soupe et le laitage.
Ensuite, autre souci, cet enfant inconnu
Avait été trouvé par eux à peu près nu
Il fallait le vêtir au plus tôt, faire emplette
De toile, lui fournir sa layette complète,
Payer quelque ouvrière enfin ; et justement
Le curé n’était pas bien riche en ce moment ;
Ses pauvres de la veille avaient vidé ses poches.
Et le voilà déjà s’accablant de reproches
Et se disant tout haut, d’un air très irrité,
Qu’il était imprudent et que la charité
Comme cela, c’était une chose coupable.
Mais le soldat, fronçant le nez d’un air capable,
Prit les deux meilleurs draps dans l’armoire en noyer,
Et, s’armant de ciseaux, il se mit à tailler
Des ronds et des carrés dans le vieux linge jaune.
Parfois il devenait rêveur, prenait une aune,
Se trompait, puis jetait ses ciseaux, plein d’effroi,
Comme un tailleur gâtant le bleu manteau d’un roi.
Le bon prêtre, ignorant comme une vieille fille
Et stupéfait, le vit enfiler son aiguille,
Coudre longtemps, soufflant très fort à chaque point,
Puis enfin, d’un air grave, essayer sur son poing
Un tout petit bonnet d’enfant du premier âge.
Ce n’était pas parfait ; mais, sans perdre courage,
Le bonhomme, étouffant quelquefois un juron,
Vite en tailla plusieurs sur le même patron.
Sans doute il essuyait bien souvent ses lunettes,
Les coutures n’étaient ni droites ni bien nettes,
Mais le vieil apprenti des choses du berceau,
Le soir, eut terminé tout le petit trousseau.
Pour eux ce fut alors une douce existence :
Ces hommes maladroits, mais remplis de constance,
Tâchaient de deviner, enchantés et surpris,
Ces mille petits soins qu’ils n’avaient pas appris,
Intuition du c½ur, science maternelle,
Qu’avec l’enfant conçu la femme porte en elle.
Certes, ce ne fut pas d’abord sans embarras.
Lorsque Angelus pleurait en leur tendant les bras,
Souvent ils ne savaient que faire ni que dire.
Que lui fallait-il donc ? Un baiser ? un sourire ?
On les lui prodiguait. Que voulait-il enfin ?
Souffrait-il ? avait-il sommeil ? avait-il faim ?
Et puis, comme toujours un esprit qui travaille
Découvre, ils découvraient ; et de chaque trouvaille,
De chaque invention de leur ardent amour,
Ils se sentaient le c½ur heureux pour tout un jour ;
Et le bonheur est fait de ces riens éphémères.
Ils allaient à tâtons, consultaient les commères
Du village, et prenaient des conseils très prudents
Pour l’âge où le petit devrait faire ses dents.
O candeur ! ils avaient des fiertés de nourrices,
Et quand l’enfant dormait tout nu, montrant ses cuisses
Où le sang rose et pur venait à fleur de peau,
Les yeux brillants de joie, ils disaient : « Qu’il est beau ! »
Angelus grandissait, et, sur ces entrefaites,
Un beau jour il voulut marcher. Nouvelles fêtes !
Ces vieux, avec leurs dos voûtés et leurs pas lents,
Semblaient faits pour guider les efforts chancelants
De ce petit garçon, leur fils et leur élève.
Chaque soir, sur le sable humide de la grève
Ils le firent marcher, surveillant avec soin
Ses progrès, chaque jour allant un peu plus loin,
Et, plus tard, chaque jour allant un peu plus vite.
L’encourageant par un bon rire qui l’invite,
Chacun d’eux soutenait un des bras de l’enfant ;
Et celui-ci parfois s’arrêtait, triomphant,
Après un petit pas qui lui semblait immense,
Heureux ainsi qu’on l’est toujours quand on commence ;
Et les deux bons vieillards étaient tout égayés
Lorsque Angelus, ouvrant de grands yeux effrayés,
Jetait un léger cri, douce et claire syllabe,
Devant la fuite oblique et bizarre d’un crabe,
Ou quand il leur fallait, en se baissant un peu,
L’aider à ramasser le coquillage bleu
Ou le petit galet joli comme une perle
Que jetait à leurs pieds la vague qui déferle.
Et quel triomphe encor quand, s’étant hasardé,
Un beau matin l’enfant courut sans être aidé !
Depuis lors il allait en avant, eux derrière.
Le curé regardait par-dessus son bréviaire,
Et l’autre se frottait les mains, l’air tout joyeux.
Et quand leur fils courait trop vite, les deux vieux
Hâtaient le pas, l’abbé refermait son gros livre,
Et tous les deux riaient de ne pouvoir le suivre.
Toute leur vie était pleine de ce marmot.
Après le premier pas, ce fut le premier mot.
Chaque jour amenait sa nouvelle surprise.
Et comme le bonheur nous égare et nous grise,
Le petit Angelus n’avait pas seulement
Trouvé parmi ses cris ce vague bégaiement,
Effort de la pensée éclose qui s’envole
Et qui ressemble à peine encore à la parole,
Que déjà le curé, plein d’ardeur et rêvant
A le faire bientôt devenir très savant,
Cherchait dans un coin noir de sa bibliothèque
Son vieux savoir latin et sa science grecque,
Et rouvrait ses bouquins de poussière chargés,
Se reprochant de les avoir tant négligés,
Et critiquant tout bas la Messe et l’Évangile
Qui le brouillaient avec la langue de Virgile.
Pourtant, sans honte, ainsi qu’un tout jeune garçon,
Il se remit à l’½uvre, apprenant sa leçon
Tous les jours et vivant sur son dictionnaire,
Comme lorsqu’il était au petit séminaire.
Pour mieux se souvenir, souvent il récitait
Du latin à voix haute, et, quand il s’arrêtait
Cherchant le mot perdu dans son livre d’étude,
Le vétéran disait : Amen ! par habitude.
Ils étaient donc heureux tout à fait ; et le soir
Près du berceau chéri tous deux venaient s’asseoir,
Et, le c½ur attendri, silencieux, timides,
Ils contemplaient l’enfant avec des yeux humides.
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pattybijoux, Posté le dimanche 24 mai 2015 11:07
Angélus
III
Comme le presbytère est joyeux maintenant !
Bien qu’au bord de la mer il soit moins rayonnant,
Le printemps, qui sourit parmi les giboulées,
Éclaire le gazon frileux dans les allées,
Réchauffe le vieux seuil, le cep en espalier,
Et vient mourir au bas du gothique escalier.
Le jardin rajeunit, rempli de pousses vertes.
L’éclat de rire sort des fenêtres ouvertes.
La brique a le ton rose et charmant d’un décor,
Et le chaume brillant pétille comme l’or.
Ah ! si le jardin sombre et les vieux murs moroses
Se sont transfigurés si vite, si les roses
Ont si vite chassé l’ortie et le chardon,
Si la tendre espérance et l’aimable pardon
De floréal ont pris ce coin noir pour leurs fêtes,
Si plus pures et plus exquises se sont faites
Pour ce lieu les senteurs premières des lilas,
Si ce miracle advint, c’est que tu t’y mêlas,
C’est que tu l’accomplis sans le savoir, Enfance !
C’est qu’une sympathique et douce connivence
S’installe entre ta grâce et la grâce d’avril ;
C’est qu’un enchaînement adorable et subtil
Comme lui t’embellit de charme et de surprise,
Fait ton rire semblable aux chansons de sa brise
Et l’or pâle de ta chevelure pareil
Aux rayons étonnés de son jeune soleil !
Car de longs mois, depuis cette nuit de novembre
Où près des deux vieillards et dans la vieille chambre,
Confiant, protégé par leur regard ami,
Pour la première fois l’enfant avait dormi,
De bien longs mois, de bien doux mois, toute une année
D’extase stupéfaite et de joie étonnée
Avait passé, bien chère et trop courte pour eux.
Et dès le lendemain de ce jour bienheureux
Ils avaient entrepris leur délicat ouvrage.
D’abord ils avaient craint les dangers du sevrage ;
Mais tout semblait venir en aide à leur dessein.
Rejeton du malheur, né sur un maigre sein
Avare de son lait comme de sa tendresse,
Angelus, élevé sans soin et sans caresse,
N’étant pas mort, hélas ! s’était vite endurci,
Car la misère tue ou rend robuste. Aussi,
Plus fort que ne le sont les bambins de cet âge,
Il supportait déjà la soupe et le laitage.
Ensuite, autre souci, cet enfant inconnu
Avait été trouvé par eux à peu près nu
Il fallait le vêtir au plus tôt, faire emplette
De toile, lui fournir sa layette complète,
Payer quelque ouvrière enfin ; et justement
Le curé n’était pas bien riche en ce moment ;
Ses pauvres de la veille avaient vidé ses poches.
Et le voilà déjà s’accablant de reproches
Et se disant tout haut, d’un air très irrité,
Qu’il était imprudent et que la charité
Comme cela, c’était une chose coupable.
Mais le soldat, fronçant le nez d’un air capable,
Prit les deux meilleurs draps dans l’armoire en noyer,
Et, s’armant de ciseaux, il se mit à tailler
Des ronds et des carrés dans le vieux linge jaune.
Parfois il devenait rêveur, prenait une aune,
Se trompait, puis jetait ses ciseaux, plein d’effroi,
Comme un tailleur gâtant le bleu manteau d’un roi.
Le bon prêtre, ignorant comme une vieille fille
Et stupéfait, le vit enfiler son aiguille,
Coudre longtemps, soufflant très fort à chaque point,
Puis enfin, d’un air grave, essayer sur son poing
Un tout petit bonnet d’enfant du premier âge.
Ce n’était pas parfait ; mais, sans perdre courage,
Le bonhomme, étouffant quelquefois un juron,
Vite en tailla plusieurs sur le même patron.
Sans doute il essuyait bien souvent ses lunettes,
Les coutures n’étaient ni droites ni bien nettes,
Mais le vieil apprenti des choses du berceau,
Le soir, eut terminé tout le petit trousseau.
Pour eux ce fut alors une douce existence :
Ces hommes maladroits, mais remplis de constance,
Tâchaient de deviner, enchantés et surpris,
Ces mille petits soins qu’ils n’avaient pas appris,
Intuition du c½ur, science maternelle,
Qu’avec l’enfant conçu la femme porte en elle.
Certes, ce ne fut pas d’abord sans embarras.
Lorsque Angelus pleurait en leur tendant les bras,
Souvent ils ne savaient que faire ni que dire.
Que lui fallait-il donc ? Un baiser ? un sourire ?
On les lui prodiguait. Que voulait-il enfin ?
Souffrait-il ? avait-il sommeil ? avait-il faim ?
Et puis, comme toujours un esprit qui travaille
Découvre, ils découvraient ; et de chaque trouvaille,
De chaque invention de leur ardent amour,
Ils se sentaient le c½ur heureux pour tout un jour ;
Et le bonheur est fait de ces riens éphémères.
Ils allaient à tâtons, consultaient les commères
Du village, et prenaient des conseils très prudents
Pour l’âge où le petit devrait faire ses dents.
O candeur ! ils avaient des fiertés de nourrices,
Et quand l’enfant dormait tout nu, montrant ses cuisses
Où le sang rose et pur venait à fleur de peau,
Les yeux brillants de joie, ils disaient : « Qu’il est beau ! »
Angelus grandissait, et, sur ces entrefaites,
Un beau jour il voulut marcher. Nouvelles fêtes !
Ces vieux, avec leurs dos voûtés et leurs pas lents,
Semblaient faits pour guider les efforts chancelants
De ce petit garçon, leur fils et leur élève.
Chaque soir, sur le sable humide de la grève
Ils le firent marcher, surveillant avec soin
Ses progrès, chaque jour allant un peu plus loin,
Et, plus tard, chaque jour allant un peu plus vite.
L’encourageant par un bon rire qui l’invite,
Chacun d’eux soutenait un des bras de l’enfant ;
Et celui-ci parfois s’arrêtait, triomphant,
Après un petit pas qui lui semblait immense,
Heureux ainsi qu’on l’est toujours quand on commence ;
Et les deux bons vieillards étaient tout égayés
Lorsque Angelus, ouvrant de grands yeux effrayés,
Jetait un léger cri, douce et claire syllabe,
Devant la fuite oblique et bizarre d’un crabe,
Ou quand il leur fallait, en se baissant un peu,
L’aider à ramasser le coquillage bleu
Ou le petit galet joli comme une perle
Que jetait à leurs pieds la vague qui déferle.
Et quel triomphe encor quand, s’étant hasardé,
Un beau matin l’enfant courut sans être aidé !
Depuis lors il allait en avant, eux derrière.
Le curé regardait par-dessus son bréviaire,
Et l’autre se frottait les mains, l’air tout joyeux.
Et quand leur fils courait trop vite, les deux vieux
Hâtaient le pas, l’abbé refermait son gros livre,
Et tous les deux riaient de ne pouvoir le suivre.
Toute leur vie était pleine de ce marmot.
Après le premier pas, ce fut le premier mot.
Chaque jour amenait sa nouvelle surprise.
Et comme le bonheur nous égare et nous grise,
Le petit Angelus n’avait pas seulement
Trouvé parmi ses cris ce vague bégaiement,
Effort de la pensée éclose qui s’envole
Et qui ressemble à peine encore à la parole,
Que déjà le curé, plein d’ardeur et rêvant
A le faire bientôt devenir très savant,
Cherchait dans un coin noir de sa bibliothèque
Son vieux savoir latin et sa science grecque,
Et rouvrait ses bouquins de poussière chargés,
Se reprochant de les avoir tant négligés,
Et critiquant tout bas la Messe et l’Évangile
Qui le brouillaient avec la langue de Virgile.
Pourtant, sans honte, ainsi qu’un tout jeune garçon,
Il se remit à l’½uvre, apprenant sa leçon
Tous les jours et vivant sur son dictionnaire,
Comme lorsqu’il était au petit séminaire.
Pour mieux se souvenir, souvent il récitait
Du latin à voix haute, et, quand il s’arrêtait
Cherchant le mot perdu dans son livre d’étude,
Le vétéran disait : Amen ! par habitude.
Ils étaient donc heureux tout à fait ; et le soir
Près du berceau chéri tous deux venaient s’asseoir,
Et, le c½ur attendri, silencieux, timides,
Ils contemplaient l’enfant avec des yeux humides.